« La gestion de l’énergie » (3)

Gérer par l’économie

Les rétentions respiratoires
« Si l’inspiration et l’expiration sont des dualités, l’une suivant l’autre, il y a mouvement donc de déperdition d’énergie. L’être humain peut économiser cette consommation et développer le capital d’énergie dont il dispose dans le moment, en arrêtant ce mouvement, en faisant des rétention respiratoires : c’est ce que l’on appelle kumbhaka.
Évidemment, si la rétention est poussée trop longuement, faite d’une façon trop violente, ou n’est pas installée de manière progressive, elle sera à son tour une source de difficultés et de perte d’énergie. Mais gérer la respiration d’une façon consciente, à des moments particuliers, en amenant progressivement les rétentions respiratoires est une technique efficace.

La pensée
De même avec la pensée : le cerveau pense comme la cage thoracique respire, comme le coeur bat, comme les intestins bougent… Le cerveau secrète de la pensée.
Ce mouvement et cette déperdition d’énergie sont naturels, mais il est du pouvoir de l’être humain de ralentir ou d’arrêter momentanément ce mouvement de la pensée, par exemple en fixant son regard sur un point. Fixer la flamme d’une bougie avec une grande intensité conduit à une immobilisation partielle ou totale de la pensée dans un temps donné.

Une autre façon de ne pas disperser son énergie consiste à se détendre par rapport au mouvement des pensées, et laisser les pensées circuler dans un état de non-vouloir, un peu comme si on était le spectateur des nuages qui passent dans le ciel. On n’est pas vraiment concerné, on n’a pas de préférence : les nuages peuvent avoir telle forme ou telle autre, aller dans une direction ou une autre. On est simplement conscient du passage …

À ce moment-là, la friction qui naît habituellement du contrôle, du rejet ou de l’attachement à telle ou telle pensée, cesse, et c’est une économie d’énergie. On peut donc prolonger ce concept de l’économie d’énergie dans tous les domaines : sensations, parole, etc.
Dans le yoga par exemple, le silence volontaire est un élément important d’économie d’énergie que l’on peut installer à certains moments de sa vie. (…)

C’est la gestion à l’aide des moyens habiles que l’on doit utiliser à bon escient, c’est-à-dire avec intelligence, en tenant compte des circonstances. »
F. Lorin

« La gestion de l’énergie » (2)

Gérer son énergie
Nous avons un certain capital d’énergie, comment le gérer ?
Nous trouvons que ce capital n’est peut-être pas suffisant. Comment l’augmenter ?
Il y déperdition d’énergie dès qu’il y a dualité, c’est-à-dire dès qu’il y a la frontière qui me sépare en deux, quelle que soit cette séparation.

(…) Dans la tension du manque, il y a consommation d’énergie. Lorsque la rencontre a lieu, il y a consommation d’énergie, et lorsque la satisfaction de la rencontre a été éprouvée, il y a à nouveau consommation d’énergie.

La respiration. Elle est dualité dans le sens où il y a l’inspiration et l’expiration ; le passage de l’un à l’autre est un mouvement, donc consommation d’énergie. Et ainsi de suite dans tous les autres domaines et toutes les autres dualités.

Gérer son énergie, c’est apprendre à se comporter au sein de la dualité. Augmenter son énergie, c’est toucher à une source d’énergie qui n’a pas de limite, c’est sortir de la dualité et c’est le but ultime du yoga. Comme c’est un but qui semble inaccessible ou très éloigné, regardons plutôt ce que le yoga propose comme comportement dans la dualité.
On peut diviser les conseils ou les principes posés par le yoga, dans ce domaine de la gestion de l’énergie en deux catégories : s’économiser et définir ses priorités.
F. Lorin

« Brahmacarya, la gestion de l’énergie » (1)

Le monde est en expansion

« Le mot brahmacarya est composé de deux termes (brahman + âcârya) tout à fait fondamentaux dans la culture de l’Inde et que l’on retrouve souvent dans les textes de yoga. Le premier vient de la racine verbale « brimh » qui signifie croître, grandir, être en état d’expansion.
Les anciens en Inde, avaient senti que la réalité dans laquelle nous nous trouvons est une réalité dont la qualité essentielle est d’être en expansion. (…) Ils avaient senti à leur façon que chaque être vivant est un processus de croissance.
Chacun d’entre nous est un processus de croissance et même si la croissance la plus intense semble avoir lieu dans les premières semaines de la vie, ce processus ne s’arrête pas jusqu’au moment de la mort ; il ne s’arrête même pas avec la mort. On y reviendra peut-être. L’univers, la totalité, le « tout » est en expansion, et la partie, l’individu, est également dans un processus de croissance. Le besoin d’expansion est la première prise de conscience à faire concernant la gestion de l’énergie.
Celui ou celle d’entre nous qui penserait qu’il peut s’économiser, se restreindre, ou cesser ce processus de croissance lutterait en vain contre quelque chose qui est plus puissant : l’essence même de la vie et l’essence même de la conscience.
Le deuxième terme, âcârya, vient du verbe « car », se mouvoir, se déplacer, aller dans une direction.
En Inde, le terme âcârya signifie « l’instructeur », celui qui nous aide à nous déplacer vers l’objectif recherché, en l’occurrence « le retour vers soi ».

Le brahmacharya est l’état dans lequel on cherche à se déplacer, à atteindre l’état de croissance totale, l’ultime croissance, l’épanouissement total. Un peu comme la graine cherche à devenir l’arbre, le foetus cherche à devenir le nouveu-né et l’adolescent vise l’état adulte … Dans la culture de l’Inde, le brahmacârin est donc celui qui cherche l’épanouissement parfait, l’accomplissement total, l’expansion sans limite. Le brahmacârin est celui qui consacre sa vie à étudier, non pas intellectuellement mais en consacrant sa vie à la recherche de l’Essentiel.
F. Lorin

« Agir avec détachement »

« La liberté est due à la connaissance mais la connaissance ne suffit pas ; il faut agir. La rechercher de l’Absolu est le grand chemin. Mais cette recherche reste vide si elle ne s’appuie sur l’action. Alors le yoga insiste sur l’action. (…) Pour Patanjali, la liberté est possible, après la mort, mais aussi dès cette vie. Et pour cela, il est bien temps d’agir. L’action constitue le point essentiel qui résume le mieux le point de vue du yoga. (…)
Mais peut-être la grande originalité du yoga, c’est le détachement qui, outre l’action, est demandé à chaque étape du parcours. Agir pour autrui, et ne pas être attaché aux conséquences de l’action pour autrui, ni même à la bonne conscience, à la satisfaction que cela ne manque pas d’engendrer ; agir pour connaître les choses, mais ne pas être attaché aux choses, ni même à la connaissance que l’on a des choses ; agir à la fin pour se connaître, et ne pas être attaché à la connaissance que l’on a de soi-même.
Agir avec détachement. (…) Peut-être le dernier détachement demandé à celui qui est en passe de devenir libre, est-il de se détacher de la liberté elle-même. Car tant que l’on reste attaché, même infimement, à la liberté qui est en train d’éclore en soi, alors que l’on devient libre, comment pourrait-on être libre ? »
P. Geenens

Sagesse, Liberté et recherche de l’Absolu selon le Yoga de Patanjali (3)

« Connais-toi toi-même »
« En fait, Patanjali nous donne assez peu d’indications sur ce qu’est la liberté. La liberté c’est « la pureté de l’association existant entre le purusha et le mental, rendus semblables l’un à l’autre », voilà ce que nous dit Patanjali à la fin du troisième chapitre.
Le purusha, c’est la conscience, l’essence la plus intime de l’homme, ce qui en lui ne meurt pas, son « âme immortelle » pourrait-on dire si l’expression ne faisait reculer, c’est ce qui constitue l’être de l’homme. Tirons parti de l’enseignement avancé par cet aphorisme : le mental doit être purifié ; lorsque le mental est pur, il renvoie finalement du côté du purusha, et non plus du côté des objets extérieurs à l’homme ; car le yoga, par opposition à la vie ordinaire qui est extraversion, le yoga, qui est finalement un effort en vue de la liberté, est d’abord un effort d’introversion : et l’état de yoga ou samâdhi, retournant l’homme vers lui-même, l’autorise ainsi à se mieux connaître, à se connaître tel qu’il est.
La seule véritable autorité qui fait que l’homme apprend à se connaître, sans complaisance, est toute intérieure. « Connais-toi toi-même » : par là on rejoint les préoccupations des plus anciens qui avaient inscrit cet impératif, le seul impératif vrai de l’homme épris de liberté, sur le fronton du temple de Delphes. « Connais-toi toi-même ». Car la connaissance de toi-même entraîne ta liberté. »
P. Geenens

Sagesse, Liberté et recherche de l’Absolu selon le Yoga de Patanjali (2)

La liberté, le but ultime

Cette vision pessimiste est heureusement nuancée par un message d’espoir : pourvu qu’un travail sur soi-même soit accompli, le futur pourrait bien se révéler plus souriant que notre condition actuelle : l’homme a déjà la liberté d’inscrire en lui un espace plus grand de liberté. Je résume ici l’esprit sinon la lettre de l’aphorisme 16 du deuxième chapitre qui marque le tournant de ce chapitre et résume tout l’esprit de l’entreprise proposée par Patanjali : rendre l’homme plus libre, rendre l’homme à sa liberté, progressivement.

Cherchons à comprendre quelle conception Patanjali se fait de la liberté et quel espoir il met en l’homme. Qu’est-ce que la liberté, qu’est-ce qu’être libre ? On ne traitera pas ici de la question du « comment » (comment être libre?) car la seule réponse à cette question, c’est l’ensemble du texte de Patanjali. On se demandera « qu’est-ce que la liberté ? » en sachant que les réponses partielles pourraient permettre, sans doute, d’éclairer la question du « comment ».

La liberté est le but ultime du yoga, le but de la pratique du yoga. Saisir le but pourrait bien conduire à reposer d’une façon moins directe la question des moyens. Il n’est donc pas inutile de nous interroger sur la liberté, même si celle-ci nous paraît bien peu accessible, on aurait même tendance à dire qu’il n’est pas inutile de nous interroger sur la liberté, surtout si elle nous paraît inaccessible.

P. Geenens

Sagesse, Liberté et recherche de l’Absolu selon le Yoga de Patanjali (1)

Se mettre à l’écoute des penseurs de l’Inde

« L »homme n’est pas libre. C’est le premier constat de la pensée indienne. A vrai dire, cette vérité n’est pas pour nous évidente. Le monde moderne nous a déshabitués de cette vérité qui fut pourtant connue des Grecs, puis des chrétiens. C’est qu’avec le monde moderne on a vu se transformer, se relativiser l’idée même de « liberté ». La liberté avait été pensée comme un accord parfait de l’homme avec lui-même.
Aujourd’hui, la liberté c’est un sentiment passager que l’homme ressent de temps à autre, bon gré mal gré, au fil de son vécu, en fonction de son rapport à autrui ; l’homme est, en bref, plutôt préoccupé de l’agir et de l’avoir que de l’être, et que de son intégrité propre. L’homme d’aujourd’hui, médiatisé à l’extrême, poussé hors de lui-même, se préoccupe de sa liberté de pensée, de sa liberté d’expression, de sa liberté d’action, de sa liberté de mouvement, comme si l’empêchaient de voler les ailes trop larges de la société technique, dont on lui avait pourtant annoncé quelle lui donnerait plus de temps et de liberté … Il n’a plus le temps de s’occuper de la liberté en tant que telle… Il expérimente le sentiment fugace de liberté plutôt que la liberté elle-même. Et il croit souvent être libre.

Il n’est donc pas évident de se mettre à l’écoute de Patanjali et des penseurs de l’Inde qui nous disent que l’homme n’est pas naturellement libre.
Dans chaque chapitre des Yoga-Sûtra, on trouve cette affirmation : « L’homme n’est pas naturellement libre », écrite avec plus ou moins de force selon le contexte. Le deuxième chapitre en particulier brosse d’entrée de jeu un tableau peu alléchant de la condition humaine : l’homme est dominé par ses problèmes intérieurs (les klesha), ses actions sont inconsciemment motivées ou récupérées par ses tendances ou ses latences les moins avouables (les âshaya : litt. « ce qui gît au fond de lui ») et en conséquence, il souffre (duhkha).

Philippe Geenens

Les âges de la vie … (3)

… et en Inde

« Les sociétés orientales, traditionnellement, avaient déjà bien défini ces différentes phases et décrivaient quatre âges de la vie, qu’il était souhaitable de respecter selon le dharma c’est-à-dire l’ordre juste qui régit notre univers.

Ainsi la phase brahmacarrya correspond à la petite enfance et à l’enfance. C’est celle de l’affirmation de sa personnalité et surtout de l’étude dans tous les sens du terme. Le but étant la croissance à tous les niveaux, et compte-tenu de la dispersion nécessaire et souhaitable, la pratique de yoga proposée à cet âge est très dynamique, exigeante, comportant des enchaînements et des postures difficiles, voire acrobatiques. (srishti-krama)

Puis vient la phase de grihasta qui dure environ quarante deux ans, où s’installe une plus grande stabilité tant physique que psychique. C’est le stade de l’accomplissement familial et professionnel, de l’affirmation de soi, et d’une connaissance de plus en plus affinée de ses potentialités et de ses comportements. La pratique devient moins exigeante, plus intériorisée, s’adaptant sans cesse à des possibilités physiques déjà amoindries. (sthiti-krama)

Antya-krama caractérise l’étape suivante de la pratique, celle correspondant à l’âge de la ménopause ou de l’andropause, celle où l’allure commence à sérieusement se ralentir physiquement, celle aussi où nous sommes confrontés de façon plus proche à l’idée de l’inévitable fin et à son acceptation. Les responsabilités sociales et familiales étant moindres, on peut alors consacrer plus de temps à la réflexion et à l‘intériorisation. La pratique devient de moins en moins intense, s’orientant davantage verse le prânâyama et la méditation.

Connaissant le problème lié au troisième âge, les anciens avaient conçu une étape intermédiaire appelée vânaprastha. Elle consistait à prendre quelques années intermédiaires de réflexion pour commencer à entrer dans la quatrième étape, en se retirant parfois dans un endroit isolé pour méditer et apprendre à se détacher progressivement des choses de la vie.

Sannyâsa est la dernière étape. Cela signifie vivre en contact avec une force supérieure et devenir un avec celle-ci en se détachant des choses matérielles. Le sannyâsin n’ plus de statut social, ce qui symbolise bien son abandon total de toute caractéristique individuelle et signifie à l’évidence une totale humilité. »

Andrée Maman

Les âges de la vie … (2)

En occident

Tout être humain traverse psychologiquement plusieurs phases lui permettant un plein épanouissement.
Ainsi, la petite enfance est la période de prise de contact de la réalité, des autres et du monde extérieur avec une propension marquée pour le mythe; L’enfance est caractérisée par le jeu reproduisant des situations surtout imaginaires, dans une tendance très grande à la dispersion.
Avec l’adolescence on entre dans une phase aiguë d’opposition, de révolte à tout ce qui existe ; on souhaite refaire le monde en refusant tout principe établi et toute autorité.
Quand vient l’âge adulte, on se doit de faire face à ses responsabilités professionnelles et familiales : on va donc, avec moins de dispersion, oeuvrer dans une direction donnée ; c’est l’âge de l’activité productrice.
Quand arrive le grand âge, l’ironie parfois mordante de l’âge adulte se transforme en humour : on ne se moque plus des autres mais de soi-même, saisissant de mieux en mieux le caractère changeant des choses et des êtres et la précarité des principes et des conformismes ; on mesure combien on sait peu de choses et l’on devient humble. (…)
Cette phase de la vie, je le répète, devrait donc être la plus sereine, se déroulant dans une grande intériorité.

Les âges de la vie … (1)

En Occident

« S’il est inéluctable de vieillir et de subir plus ou moins rapidement les effets de l’âge, il faut savoir que ces changements se font de façon lente, à peine perceptible dans le temps. Nous changerons physiquement et physiologiquement mais aussi psychiquement, ce qui nous permet de bien vivre ces mutations, dans la mesure, bien sûr, où nous les acceptons sereinement. Il serait souhaitable d’essayer de trouver les moyens de ralentir ces processus de dégradation par une prise en charge consciente et continue de notre personne en mettant en oeuvre tout ce qui est à notre portée pour améliorer notre équilibre général. Cela signifie que nous aurons le souci d’adapter notre activité, notre façon de nous alimenter, notre façon de vivre enfin à ce que nous sommes devenus, sans nous lamenter sur nos facultés perdues.

Il est vrai que le monde dans lequel nous vivons ne facilite pas cette acceptation : il ne glorifie que la jeunesse, les personnes âgées étant trop souvent considérées comme une charge indésirable, une « excroissance » ou encore un « diverticule » dont il faudrait au plus vite se débarrasser ! (…)
Paraître jeune sera leur souci au prix de surmenages détrimentiels pour leur équilibre. Il est vraiment navrant de ne pas accepter pleinement ces changements et d’occulter ce que l’on a acquis par l’expérience de la vie : à savoir une façon bien plus sereine d’appréhender les évènements et les êtres et, par conséquent une grande joie de vivre. La vieillesse devrait être caractérisée par plus de compréhension, plus d’indulgence et l’humilité. »