Le souffle de la chair

La vie change quand on découvre son corps. Elle change encore plus quand ce corps se met à avoir une âme. On découvre alors une vie étonnante. Celle qui vit en nous et qui ne demande qu’à vivre. Spinoza l’appelle la vérité en disant d’elle qu’elle est index sui : elle parle d’elle-même. Le vrai amour en est l’exemple. Il parle de lui-même parce qu’il est vécu corps et âme. Rimbaud a passionnément recherché cette vérité comme le montre la fin d’Une saison en enfer où il s’exclame : « Je veux posséder la vérité dans une âme et dans un corps ». Cette vérité apparaît quand on vit corps et âme. Merleau-Ponty l’appelle la chair. Elle est notre noyau d’être et à travers lui le vécu profond que la phénoménologie recherche comme étant la clef de ce qui est. Proust en fait l’expérience : quand il vit à la surface de lui-même, traînant son corps et son ennui de salon en salon, il n’arrive pas à écrire. Quand il laisse vivre les sensations profondes qui vivent en lui, il est saisi. (…) En sentant vivre la matière et le corps, en se sentant vivant, Proust découvre la matière spirituelle qui est le corps de son corps. (….) On le découvre en passant du corps que l’on a ou corporéité au corps que l’on est ou corporalité. En faisant corps avec la vie que l’on a pour devenir la vie que l’on est, on prend corps avant d’avoir du corps comme un vin accompli. » Bertrand Vergely

« Une chance appelée corps »

À travers quelques citations …

« Il y a une vérité du corps. Quand on aime la vie on lui donne ce qui lui revient. On ne la refuse pas. On n’est pas, comme le dit Nietzche « un contempteur du corps… parce que l’on est irrité contre la terre et la vie ». On prend la vie telle qu’elle est avec le corps tel qu’il est, sans se sentir « offensé par le présent », ainsi que l’écrit Pascal. Sans regretter avec Descartes de ne pas avoir « un corps de diamant avec des ailes pour voler ». Dans la fable de La Fontaine, le roseau qui accepte son corps chétif est fort en découvrant la souplesse derrière la faiblesse. (…) Il existe une brouille avec le corps. Elle s’exprime objectivement par le corps que l’on enferme, comme le souligne Michel Foucault. Elle s’exprime subjectivement à travers le corps que l’on néglige, que l’on maltraite, que l’on exhibe par provocation et que l’on cache par honte. Que de vies gâchées à cause d’un tel refus ! Quelle libération en revanche quand on le dépasse.

Cette libération commence par un changement de pensée. C’est le fait d’être réel qui est idéal et non le fait d’être idéal qui est réel. Nous en sommes l’illustration, le corps étant ce qui nous permet d’être à la fois réels et uniques. Créer ce n’est pas avoir des idées mais les matérialiser en les faisant passer à l’existence, souligne Leibniz. Être homme, c’est faire de même en rentrant dans son corps et en s’incarnant. » Bertrand Vergely

« Nul ne sait ce que peut le corps » Spinoza

« Manifestation matérielle vivante de notre présence dans le monde, le corps n’est pas simplement un objet de la Nature mais le point de départ d’une aventure de la pensée. Quand on fait corps avec son corps, quand on devient un avec lui en l’épousant, le corps à corps impétueux avec le monde s’apaise pour faire place à la rencontre singulière d’une énergie de vie à la fois harmonieuse et puissante. Cette rencontre avec cette énergie est vitale. On vit bien quand on fait ainsi un avec son corps. On est dans son axe. (…) Cette vie juste, forte et centrée grâce au corps est le signe qu’il y a derrière lui autre chose, un corps plus profond sous la forme d’une force, la force même de la vie.(…) Il y a un souffle en lui qui a quelque chose à nous apprendre. » Bertrand Vergely

Chercher sa Voie

« Chaque individu doit-il chercher et peut-il trouver la voie spirituelle qui lui permette de se réaliser du mieux possible ? Je répond assurément : oui. Hier comme aujourd’hui le chemin spirituel est le fruit d’une démarche personnelle et celle-ci a plus de chance d’aboutir si chacun cherche un chemin qui soit adapté à sa sensibilité, à ses possibilités, à son ambition, à son désir, à son questionnement. Bien sûr, certains individus se trouvent perdus devant le choix si large de chemins qui nous sont aujourd’hui offerts.
« Quelle est la meilleure voie spirituelle ? », à-t-on un jour demandé au dalaï-lama. Réponse du leader tibétain : « Celle qui vous rend meilleur ». Voici sans doute un excellent critère de discernement. » Frédéric Lenoir

(…) Sage

L’expérience libératrice.
Les sages, explorant une autre manière d’être soi, ,ont quelque chose de nomade, mais sils n’errent pas au hasard. Ils cheminent sur les traces de ceux qui les ont précédés, ou bien en frayant une route inédite. A partir de l’éveil initial, ils entrent alors en travail. il leur faut d’abord se défaire de l’attachement aux biens matériels et aux affections humaines qui les entravent, afin de gagner une certaine marge d’autonomie. Cela ne signifie pas nécessairement un mode de vie sous le signe de la pauvreté. (…) Le détachement touche avant tout les certitudes intérieures et les habitudes acquises : « Vous n’êtes pas ici pour apprendre, mais pour désapprendre », disait le maître indien Ramana Maharshi.

qu’est-ce qu’un sage ?
Une manière plus subtile d’envisager l’existence et d’être soi.
Chacun à sa façon, les sages nous invitent à vivifier notre perception, comme une épice qui changerait le goût d’un plat et qui rendrait plus savoureuse l’expérience du monde.

Ysé Tardan-Masquelier

Sage (…)

Une pensée du grand large.
Avec Svetaketu (voir article précédent), nous comprenons que la sagesse est l’attention révélatrice de cette essence omniprésente, qui se donne sans limite et sans différence, vivifiant de sa saveur tous les êtres et les choses que distingue l’intelligence analytique. L’image dans son apparente naïveté, renvoie à la perception d’une présence invisible, qui échappe à toute prise, mais qui se laisse « savourer » dans l’expérience du monde : elle est le sel de la vie », et la sagesse est d’abord attrait pour ce « goût de l’Être ».

« Vois, dit l’ami à l’ami sur le pont, la joie du poisson dans l’étang ! – Comment, toi qui n’es pas poisson, connais-tu la joie du poisson ? – À ma joie sur le pont. » (Tchouang-tseu).

Rien d’extraordinaire, et pourtant tout est là, dans la vigilance lumineuse à l’instant, qui discerne la secrète unité de soi et du monde. Le sage n’est pas nécessairement un grand intellectuel, il n’a pas d’abord pour objectif de développer son mental, mais d’induire un retournement dans la manière d’envisager l’existence. (…) les sages ont privilégié une source de connaissance intuitive et directe, une intelligence visionnaire une pensée du grand large, qui embrasse le tout et la particularité de chaque être.

« Sage » (…)

« Sage » nous vient du latin sapidus, un adjectif formé sur la même racine que le verbe sapere, « avoir du goût, sentir », « avoir de l’intelligence, apprécier », « se connaître en quelque chose, comprendre, savoir ». La sagesse, sapientia, commence donc par une expérience savoureuse, source d’appréciation et de discernement.

« La doctrine, on l’acquiert par l’étude, mais la sagesse on l’a par infusion » Thomas d’Aquin

Uddalaka Aruni avait envoyé son fil Svetaketu faire son éducation religieuse chez les meilleurs brahmanes, et le jeune homme, après douze années d’études assidues, était rentré chez lui « content de soi, fier de ses connaissances, orgueilleux » mais incapable de répondre aux questions essentielles. Son père décide alors de l’éveiller à la présence de l’Être un et éternel au coeur de la réalité sensible et de lui-même, en lui proposant des praboles. En voici une : « Jette ce sel dans l’eau et reviens me voir demain matin » Ainsi fit Svetaketu. Son père lui dit : « Ce sel que tu as, hier soir, jeté dans l’eau, apporte-le moi ». Svetaketu regarda et ne le vit plus. Il était fondu. « Goûte de cette eau prise à la surface … Eh bien ? – C’est salé. – Goûte de l’eau prise au milieu… Eh bien ? – C’est salé. – Goûte du fond et reviens près de moi. » Ainsi fit-il en disant : « C’est toujours de même. » Alors son père dit à Svetaketu : « Ainsi, en vérité, mon ami, tu ne perçois pas l’Être, et pourtant il est là. Cette essence subtile, c’est par elle que tout est animé ; elle est la seule réalité ; elle est le Soi ; et toi-même, Svetaketu, tu es cela. » Chandogya Upanishad

(…)

U

Être en yoga

« Être en yoga n’est pas intellectuel. Cela se fait par le travail du corps, de la respiration, de l’attention, et de la pratique. (…) Cet approfondissement de la vie intérieure a besoin de silence, de temps, de solitude face aux si nombreuses sollicitations extérieures. En avons-nous encore le temps, l’espace ? C’est peut-être le secret de l’intérêt pour le yoga, qui propose un retour à soi, sans effort et sans bruit, pendant la pratique et la méditation; qui nous propose de prendre du recul, cette position de témoin face à l’adversité ou face à nos réactions par trop émotionnelles. Le maître soufi, Cheikh Bentounès, nous le dit : « Quand on entre dans la vie intérieure, on passe de la culture du « moi je » à la culture du « nous tous ». Christiane Berthelet Lorelle confirme également : « j’utilise la pratique du yoga pour fatiguer le Moi, fatiguer sa résistance et ses mécanismes de défense pour qu’enfin une lumière fraie son chemin ». C’est cette lumière là, c’est elle que l’on veut voir.(…) La vie intérieure est en fait un vrai pouvoir, une force de vie, en chacun. » Renaud Céllier

BELLE ET HEUREUSE ANNÉE 2017

« Nous n’avons jamais fini d’escalader la montagne, car si nous n’avons rien à regarder en haut, si rien n’est au-dessus de nous, notre intérêt est insuffisant et le coeur ne peut donc s’ouvrir. Il y a toujours quelque chose de plus grand que moi. Ne pensez pas que vous êtes arrivé. Aussi haut que celà puisse paraître sur la montagne, ce n’est qu’une corniche pour s’asseoir et reprendre souffle. Il y a toujours un lieu plus haut si on lève les yeux » Myokyo-Ni